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Syndicat CGT  AUTO INERGY DIVISION Groupe Plastic Omnium

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La réforme du droit du travail

La réforme du droit du travail

La réforme du droit du travail

Code du travail Pascal Lokiec, professeur de droit social à l’université, livre son point de vue sur les orientations de la réforme du droit du travail présentées par le premier ministre. Un projet de loi sera examiné début 2016.

Tout d’abord, quelle est la fonction première du droit du travail ?

Pascal Lokiec – C’est de protéger les salariés, parce que le rapport de travail repose sur un lien de subordination. Certains salariés peuvent être plus autonomes que d’autres, mais le rapport de subordination avec l’employeur demeure.

Même l’« ubérisation » de l’économie ne le fait pas disparaître. D’ailleurs, aux États-Unis, les tribunaux requalifient de plus en plus souvent au sein du salariat de prétendus travailleurs indépendants. La contrepartie du lien de subordination, c’est donc la protection du salarié par des règles définies dans le Code du travail. Cette protection n’est pas une option à laquelle on peut renoncer, fût-ce au nom de la lutte contre le chômage.

Justement, la future réforme du droit du travail est sous-tendue par l’idée que les protections sociales accordées aux salariés seraient nuisibles à l’emploi. Qu’en pensez-vous ?

L’argument est classique. Mais il n’a jamais été démontré de lien de causalité entre le Code du travail et le chômage. Depuis une vingtaine d’années, on a flexibilisé le droit du travail, consacré la rupture conventionnelle, on a même inversé la hiérarchie des normes dans un certain nombre de domaines, je pense en particulier à certains aspects du temps de travail, sans aucun effet notable sur l’emploi.

Une étude récente de l’OCDE a montré qu’en Allemagne l’indice de protection de l’emploi a augmenté et que le niveau du chômage a baissé, ce qui contredit l’idée que le Code du travail pourrait être responsable du chômage.

Le Code du travail est accusé d’être trop rigide et volumineux à la fois. L’argument vous paraît-il recevable ?

Le Code du travail est largement caricaturé. Trop rigide ? Mais il offre déjà énormément de flexibilité, par exemple il est possible de déroger aux 35 heures de multiples façons avec les systèmes d’aménagement et de modulation d’horaires, de forfaits en jours, etc. Trop volumineux ? On omet de dire que la plus grande partie des 3 500 pages du code est réservée à la publication des décisions de justice.

Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas lieu de le simplifier. Mais il ne s’agit en aucun cas de le réécrire, et encore moins de changer de modèle, comme le propose la ministre du Travail. Surtout en deux ans ! On pourrait sans doute procéder à une simplification technique en analysant minutieusement chaque dispositif pour en repérer les complexités inutiles.

Mais surtout, je crois qu’il convient d’engager une réflexion sur l’accès au droit dans les PME-TPE dépourvues de ressources juridiques en interne. Mais on ne va quand même pas détricoter le Code du travail et remettre en cause les protections de millions de salariés au prétexte que les patrons des TPE ont du mal à assimiler le droit social !

Le rapport Combrexelle, dont s’inspire largement la ministre du Travail, préconise de réformer les règles de la négociation collective en donnant la primauté aux accords d’entreprise. Une bonne solution ?

Le renforcement de la place et du rôle de la négociation collective d’entreprise peut avoir des effets redoutables. D’abord, le rapport de force à ce niveau est particulièrement déséquilibré en défaveur des salariés, surtout en période de chômage de masse comme aujourd’hui. La question du chantage à l’emploi est omniprésente dans les négociations.

Ensuite, on se dirige vers un droit du travail à la carte. Le salarié qui change d’entreprise change de droit applicable, un peu comme s’il partait travailler à l’étranger. Cette mécanique a toutes les chances d’alimenter les politiques de dumping social. D’autant que le contrôle du respect du droit du travail, par l’inspecteur du travail ou le juge, devient extrêmement difficile dans ces conditions. Enfin, l’accord collectif n’a jamais été plus simple que la loi, au contraire. Encore une fois, dans une relation de travail déséquilibrée, c’est avant tout la loi commune qui protège.

Mais le premier ministre s’est voulu rassurant en indiquant que l’inversion de la hiérarchie des normes n’était pas à l’ordre du jour. Il a précisé aussi qu’il n’était pas question de remettre en cause la durée légale du travail, le CDI et le Smic…

Cette règle de la hiérarchie des normes et du principe de faveur est essentielle. Il en résulte que la loi fixe un socle de protections que les acteurs sociaux (patronat et syndicats) ne peuvent qu’améliorer par la négociation : c’est ce qu’on appelle l’ordre public social. C’est ainsi que s’est construit le Code du travail.

Depuis une vingtaine d’années, l’ordre public social est attaqué mais résiste. Le risque, c’est que la future réforme du droit du travail accouche d’un nouveau modèle qui mette à bas l’ordre public social, laissant toute une partie des protections à la merci d’accords collectifs moins favorables. L’accord d’entreprise pourrait déroger beaucoup plus massivement aux dispositions de la loi ; ce qui vaut aujourd’hui en matière de durée du travail vaudra-t-il demain dans des domaines aussi divers que celui du licenciement, du contrat de travail, du salaire, etc. ?

L’autre danger, ce sont les lois supplétives qui s’effacent purement et simplement en présence d’accord collectif. Le premier ministre a beau dire qu’il fixera des verrous dans son projet de loi, il n’existe pas de garantie que ces verrous ne sauteront pas plus tard, ce d’autant plus que la réforme doit s’achever en 2018. Ouvrira-t-on la porte au référendum en cas d’échec des négociations ? Admettra-t-on, comme l’envisage le rapport Combrexelle, que l’accord d’entreprise fixe le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ? Dans ces conditions, la durée légale du travail ne signifie plus rien.

Autre risque, celui de voir l’accord d’entreprise primer sur le contrat de travail. Cela veut dire, par exemple, que le salarié n’a plus le droit de s’opposer à une réduction de son salaire prévue par accord collectif. Sur fond de chantage à l’emploi, la négociation collective peut devenir, si l’on n’y prend garde, un redoutable instrument de régression sociale.

Repères
Pascal Lokiec est professeur agrégé de droit à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, spécialiste des questions de droit social. Il est l’auteur du livre Droit du travail, publié aux Presses universitaires de France. Et d’un autre intitulé Il faut sauver le droit du travail, aux éditions Odile Jacob

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