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Syndicat CGT  AUTO INERGY DIVISION Groupe Plastic Omnium

Syndicat CGT / AUTO INERGY DIVISION / Groupe Plastic Omnium

Le travail est un atout, pas un coût...

Le travail est un atout, pas un coût...

Le travail est un atout, pas un coût

La réforme des retraites est à nouveau l’occasion pour le patronat de donner libre cours à son obsession : la baisse du « coût du travail » pour rendre compétitives les entreprises. Que cache cette campagne permanente du Medef, à laquelle le gouvernement semble particulièrement sensible ?


Nasser Mansouri-Guilani
est économiste,
conseiller confédéral
à la CGT.

NVO Le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, a promis aux représentants du patronat réunis à l’université du Medef, une réduction du « coût du travail » pour compenser l’augmentation des cotisations patronales pour financer les retraites. Une fois de plus le « coût du travail » est présenté comme une charge qu’il faut absolument réduire. Qu’en dites-vous ?

Nasser Mansouri-Guilani Il faut d’abord se mettre d’accord sur la notion de « coût du travail ». L’idée même que le travail serait un coût est contestable. Il faut considérer, bien au contraire, que le travail est un atout pour la société. C’est le travail qui produit des richesses. Sans travail, pas de richesses, pas de biens ni de services pour répondre aux besoins de la société. C’est un élément fondamental, pour les syndicalistes comme pour les salariés. Si le travail est un atout, il faut le valoriser. Mais, évidemment, si l’on considère qu’il s’agit d’un coût, dans une vision capitaliste, il faut le réduire afin de maximiser les profits et d’augmenter la part qui revient dans les résultats de l’entreprise aux actionnaires.
Dans les écoles d’économie, généralement d’inspiration libérale, on enseigne que l’objectif de l’entreprise est de faire le maximum de profits et, pour cela, parvenir à réduire l’ensemble des coûts et en particulier les coûts représentés par la rémunération du travail. Le gouvernement, lorsqu’il reprend l’objectif de réduction du coût de travail à son compte, accepte et légitime cette logique.



Donc, selon vous, le « coût du travail », que le Medef juge trop élevé en France, ne serait pas à l’origine des difficultés de nos entreprises et ne constituerait pas un handicap pour leur compétitivité ?

Cette affirmation selon laquelle c’est la rémunération du travail qui est la cause des difficultés économiques est totalement erronée. Il y a d’ailleurs un indicateur qui le confirme, c’est la façon dont s’est effectué le partage de la valeur ajoutée, des richesses, entre le travail et le capital : entre la rémunération du travail sous la forme des salaires et des cotisations sociales, qu’elles soient salariales ou patronales, et la rémunération du capital sous la forme notamment de dividendes versés aux actionnaires.


Lorsque l’on étudie l’évolution de ce partage, comme l’a fait l’Insee, que constate-t-on depuis les années 1950 ? La part des salaires dans la valeur ajoutée augmente jusqu’aux débuts des années 1980. Entre 1983-1989, nous assistons à une chute de l’ordre de 10 points de la part des salaires dans la valeur ajoutée et depuis, il y a une quasi-stabilité. À cette forte régression de la part dévolue aux salariés correspond une forte hausse de la part destinée aux détenteurs de capitaux dans la répartition des richesses produites par les salariés. Ce qui signifie que, durant les années 1980, relativement à la valeur ajoutée, la rémunération du travail, le « coût du travail » comme persistent à le nommer les libéraux, a baissé. Or, nous n’avons pas enregistré durant cette période une forte hausse de l’emploi ; il a même reculé dans l’industrie. Le chômage a, au contraire, augmenté.

Quant à l’investissement, sa part dans la valeur ajoutée n’a pas progressé. Ce constat montre que l’origine des difficultés du pays se trouve donc bien dans l’insuffisance de l’emploi et de l’investissement productif et non pas dans le « coût du travail » qui, lui, a régressé fortement. La faiblesse de l’investissement dans les équipements, dans la recherche et dans la formation des salariés est une des causes majeures de nos difficultés.



C’est ce qui différencie la situation de la France de celle de l’Allemagne et qui expliquerait que les entreprises industrielles allemandes paraissent plus compétitives et leurs produits mieux placés à l’exportation que les produits français ?

En Allemagne, effectivement, les entreprises, avec le soutien des régions et de l’État, ont beaucoup investi dans les équipements, dans la recherche et dans la formation, ce que nous n’avons pas fait suffisamment. Les entreprises allemandes ont imposé, dans les années 2000, un « compromis salarial », avec le soutien du gouvernement de l’époque, qui a bloqué l’augmentation des salaires et favorisé le développement de la flexibilité de l’emploi.

Elles ont également bénéficié de l’ouverture de l’Europe aux pays de l’Est en profitant du faible niveau des salaires. Les effets de cette politique, qu’on veut nous imposer comme modèle, sont particulièrement graves pour les salariés : développement de la précarité et de la pauvreté. Il y a plus de 8 millions de pauvres en Allemagne et il y a aujourd’hui dans ce pays des emplois de services, par exemple, qui sont payés 2 euros de l’heure. C’est toute l’importance des luttes en Allemagne pour l’établissement d’un salaire minimum. De nombreux retraités sont obligés de rechercher un emploi pour subvenir à leurs besoins.


Mais d’autres éléments expliquent la situation de l’Allemagne : la qualité des produits, les liens qui existent entre l’industrie et les banques et les efforts fournis par les régions dans le soutien aux entreprises, notamment aux PME. Il faut donc prendre en compte l’ensemble de ces éléments pour cerner les raisons d’une meilleure tenue des exportations allemandes.



Il semble pourtant de bon sens d’affirmer que si les salaires étaient moins élevés, les prix des produits fabriqués en France pourraient être plus compétitifs ?

Il faut distinguer deux aspects de la compétitivité. Il y a la compétitivité coût, qui concerne l’ensemble des coûts nécessaires à la production d’une marchandise, et la compétitivité hors coût. Or, ce qui handicape les produits français à l’exportation, c’est plutôt la compétitivité hors coût. C’est-à-dire la qualité des produits qui nous renvoie à l’insuffisance de la recherche-développement, de l’innovation, de la formation des salariés. Mais aussi à la politique d’implantation de nos entreprises à l’étranger. Il est clair, pour prendre un exemple parmi d’autres, que l’Allemagne a été beaucoup plus efficace que nous sur le marché chinois.
Il est une autre raison qui dément l’argument selon lequel le « coût du travail » obère notre compétitivité. La rémunération du travail n’est pas séparable de la quantité de marchandises ou de services produits pendant un temps donné. Il s’agit, par exemple, de calculer le nombre de produits réalisés en moyenne par heure. Ce qu’on appelle la productivité du travail. Si on compare la rémunération du travail en France à d’autres pays de même niveau de développement, les pays de l’Union européenne, par exemple, on constate que nous sommes dans la moyenne. Mais pour ce qui concerne la productivité du travail, la France se situe parmi les plus performants. C’est ce que cache soigneusement le patronat.


C’est important car si nous avons une productivité du travail qui augmente plus vite que la rémunération du travail, cela signifie que la différence va aux détenteurs de capitaux. C’est ce qui s’est passé dans les années 1980 et qui explique que 10 % de la valeur ajoutée qui aurait dû revenir aux salariés soit allée grossir les dividendes versés aux actionnaires. C’est ainsi qu’au début des années 1980, la part des dividendes distribués était de l’ordre de 6 % de la valeur ajoutée, elle est aujourd’hui de 25 % environ. C’est là le véritable problème : ce n’est pas la rémunération du travail mais le coût du capital, dont ne parlent jamais le patronat ni le gouvernement.


Qu’est-ce que cela recouvre, le coût du capital ?

Concrètement, il est la somme de deux choses : les intérêts que les entreprises versent aux créanciers, notamment les banques, et les dividendes versés aux actionnaires. Il faut se rappeler les propos des libéraux dans les années 1980. Ils nous disaient que le système financier fondé sur les crédits bancaires coûtait trop cher aux entreprises et qu’il fallait en conséquence développer les marchés financiers pour réduire les coûts de financement de l’activité des entreprises, en réduisant les charges d’intérêt. Or, s’il est vrai que les charges d’intérêt ont diminué pendant un certain temps, en revanche, les dividendes versés aux actionnaires ont constamment augmenté. Si l’on cumule les deux, ce qui représente le coût du capital, on constate que, contrairement aux discours des libéraux, ce coût n’a pas baissé mais a augmenté. Ce qui constitue un handicap majeur pour l’économie française.


Les chiffres sont éloquents. Si l’on examine la part des salaires dans la valeur ajoutée ces vingt dernières années, on voit qu’elle est à peu près stable, mais celle du coût du capital, elle, augmente sensiblement. Cette évolution montre bien que les difficultés de notre économie ne viennent pas du côté du travail, mais du côté du capital dont le coût n’a cessé d’augmenter.


L’autre argument des libéraux, résumé par ce que l’on a appelé le « théorème de Schmidt », du nom du chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt, et selon lequel « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain », ne s’est pas vérifié, au contraire. En réalité plus on sert de dividendes aux actionnaires plus ils en demandent. La hausse des profits n’a donc pas profité aux investissements ni à l’emploi. De fait, les profits d’hier ont fait les profits d’aujourd’hui qui feront les surprofits de demain.


Des profits qui souvent s’évadent ou se livrent à la spéculation…

À cela s’ajoute, effectivement, qu’une partie de ces profits échappe au fisc. C’est le problème de l’évasion fiscale, qui serait moindre s’il y avait moins de profits réservés aux dividendes et plus à l’investissement. Cela générerait en outre moins d’incitations à l’évasion fiscale et à la spéculation.
En réalité, la logique actionnariale s’est substituée à la logique industrielle. Car en fixant la barre d’un retour sur investissement à court terme et à hauteur de 10, 15 voire 20 % pour les actionnaires, les entreprises cherchent à se rentabiliser en dehors de l’activité productive. Mais si les profits augmentent au détriment des salariés et des investissements, il n’y aura pas suffisamment de demande adressée aux entreprises et ces dernières ne parviennent pas à rentabiliser leurs investissements dans leur activité de production. Elles vont devoir chercher des profits supplémentaires, non plus dans la production, mais sur les marchés financiers. C’est ce qu’on a appelé la financiarisation de l’industrie et de l’activité économique. Dans les années 1990 et 2000, les entreprises ont ainsi privilégié les actifs financiers, elles ont préféré acheter d’autres entreprises plutôt que d’investir dans de nouvelles unités de production. Avec la financiarisation, les entreprises deviennent de fait elles-mêmes des objets financiers sur lesquelles on peut spéculer.


Pour répondre aux exigences des actionnaires, les entreprises se refusent à augmenter les salaires et l’emploi et à investir suffisamment dans la recherche, la formation et les moyens de production. C’est un cercle vicieux qui explique en particulier la crise de 2008. Elle n’est pas venue simplement des États Unis, comme le prétendent les libéraux, elle a ses racines dans notre économie. C’est une crise structurelle du capitalisme.

Mais si l’on réduit la part consacrée aux dividendes, n’y a-t-il pas le risque que les investisseurs désertent les entreprises françaises ?


Nous sommes dans une économie mondialisée et libéralisée. Les capitaux sont effectivement libres de partir. Mais si l’on cède à cette menace, on s’interdit de s’attaquer aux problèmes qui minent notre économie et notre société. Il faudrait même s’interdire d’élire démocratiquement les représentants d’une politique qui déciderait de s’y engager ! Ce serait une grave régression de la démocratie face aux exigences de la finance internationale.


Le risque que des capitaux partent à la recherche de pays plus accommodants met en évidence la nécessité des politiques d’harmonisation fiscale, sociale et environnementale dans l’intérêt de tous les pays. Il faut préciser que la décision d’investir dans un pays est liée à une série de paramètres qu’une entreprise se doit de prendre en compte, notamment la qualité de la main-d’œuvre, des infrastructures, des services publics. C’est dire que la politique de réduction des dépenses publiques utiles affaiblit les atouts de la France. Si nous voulons une industrie plus forte, l’existence de services publics de qualité, de même que plus de recherche-développement et des formations performantes des salariés sont indispensables.

Que propose la CGT pour conforter la compétitivité des entreprises ?


Il y a deux choses qui vont de pair et sur lesquelles il nous faut intervenir. Les choix de gestion des entreprises sont décisifs pour leurs activités, évidemment, mais aussi pour l’ensemble de l’économie. Si les entreprises décident d’embaucher et d’investir, y compris dans la recherche et la formation des salariés, cela aura d’autres conséquences que si elles donnent la priorité aux intérêts des actionnaires.
Deuxième élément, la politique économique du gouvernement. Selon qu’il renforce ou réduit les dépenses pour améliorer les infrastructures et les services publics, il va contribuer à conforter ou affaiblir les atouts de notre économie et donc de nos entreprises.


Et il y a un va-et-vient entre les deux. Un exemple éclairant : la politique d’exonération fiscale. L’argument du patronat est toujours le même : le travail coûte cher, il faut réduire les cotisations sociales des employeurs. Les gouvernements successifs, y compris l’actuel, ont accepté cet argument et ont réduit les cotisations. Elles sont exonérées à 100 % jusqu’au niveau du Smic ; et les exonérations diminuent jusqu’à 1,6 fois le Smic. Cela coûte chaque année plus de 20 milliards d’euros aux contribuables. Or, plusieurs études le montrent, les entreprises profitent de ces exonérations sans que cela bénéficie à l’emploi, ni aux salaires. Mais les conséquences sont multiples. Ainsi, ces exonérations incitent les employeurs à embaucher au niveau du Smic et à s’opposer à la hausse des salaires, car au-dessus de 1,6 fois le Smic, il n’y a plus d’exonération. Et, de fait, lorsque l’on examine l’évolution des salaires en France, on constate une augmentation des bas salaires et un tassement vers le Smic. Autre effet pervers de cette politique, pointé par un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi, c’est l’impact négatif sur la formation continue, car des salariés mieux formés impliquent à juste titre des hausses de salaires et, du fait des exonérations, les employeurs n’y voient pas d’intérêt.


Les choix politiques des gouvernements induisent en l’occurrence des choix de gestion des entreprises qui pénalisent les salariés et leur formation sans aucun bénéfice pour l’emploi et qui affaiblissent les atouts du pays. C’est la raison pour laquelle la CGT revendique des droits nouveaux pour les salariés et leurs représentants, qui leur permettent d’intervenir sur les choix stratégiques des entreprises. Et, dans le même temps, elle appelle à la mobilisation des salariés, des retraités et des privés d’emploi pour infléchir la politique du gouvernement.


Il y a dans ce cadre un ensemble de propositions de la CGT qui visent à ce que l’activité économique réponde aux besoins de la société. C’est le sens des propositions pour un développement humain durable. Pour améliorer les performances des entreprises dans l’intérêt du pays, il faut donc, à la fois :
– favoriser l’intervention des salariés sur les choix de gestion de l’entreprise, en faveur de l’investissement, de l’emploi, de l’augmentation des salaires, d’une formation continue de qualité, de l’amélioration des conditions de travail, de l’égalité professionnelle…
– faire évoluer les politiques publiques, rendre plus efficace l’intervention de l’État pour améliorer la qualité des services publics, celle de notre système éducatif et de recherche…


On pourrait tout de suite, par exemple, faire évoluer la politique des aides accordées aux entreprises, qui représente chaque année près de 200 milliards d’euros sous diverses formes. La plupart de ces aides sont allouées au nom de l’emploi et de l’investissement. Quand on voit le résultat, le compte n’y est pas du tout. La CGT demande que l’on mette à plat l’ensemble de ces aides et qu’on évalue leur efficacité. Pierre Gattaz, le nouveau patron du Medef, reconnaît lui-même qu’il y a beaucoup d’économies à faire. On pourrait les utiliser pour dynamiser l’emploi, développer la recherche et l’innovation, stimuler les investissements, améliorer les services publics et aussi réduire les déficits du budget de l’État et de la Sécurité sociale.
Il n’y a donc rien de fatal dans la dégradation de la situation, les moyens existent de faire autrement.

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